Le synopsis de Sarah

Le synopsis de Sarah

Chroniques d'une demandeuse d'emploi


18 mois sans emploi

Connaissez-vous le jeu de la patate chaude ? Il est très simple : on fait chauffer une grosse pomme de terre à la vapeur. Plus elle est riche en eau, mieux c’est, elle n’en sera que plus bouillante. Puis quelqu’un s’en empare. Aussitôt surpris par sa température, il fera tout pour la lancer à l’un de ses voisins afin de soulager ses mains. Pour autant, il ne la jettera pas par terre. Elle reste une patate comestible que diable !

 

Chercher un emploi, pour moi, c’est un peu comme cette métaphore. Je me fais souvent l’effet d’être une patate bouillante. Croyez-moi ce n’est ni valorisant, ni gratifiant. D’après mon expérience, c’est plutôt inconfortable et moche. Les nombreux employeurs chez qui je postule ne m’accordant guère plus le crédit d’être autre chose qu’une patate médiocre parmi tant d’autres, je suis troooop bouillante. Je dois donc absolument être jetée dans les mains d’autrui, pourvu que ce ne soit pas les leurs.

 

Après quasiment deux années de recherches, de candidatures infructueuses, de déménagements, de doutes, d’insomnies voire de dépressions passagères, il m’arrive de me demander à quel moment je passerai du statut de patate, au détritus, que l’on piétine sans plus se demander s’il a été comestible à un moment donné de son cycle de vie.

 

À chaque bond entre deux paires de mains fusent les excuses les plus étonnantes les unes que les autres. Pour ne citer que les plus marquantes, mention spéciale au silence dédaigneux :

 

Vous avez soigneusement sélectionné une offre pour laquelle vous estimez que votre profil colle bien, c’est pile dans vos cordes, dans votre branche d’études diplômées. Oui vous sortez de la Fac, de l’Ecole d’Ingénieur… ET on vous a spécifiquement formé à ce pourquoi vous prenez la peine de consacrer 3h pour rédiger vos motivations, après vous êtes renseigné soigneusement sur l’entreprise choisie, etc. Vous envoyez CV et missive par la poste, le net, au service approprié, vous passez des coups de téléphone pour vous faire connaître… mais vous n’obtenez rien en retour. Rien. Zéro réponse. Ni oui, ni non. Silence. Vous relancez quelques jours plus tard, puis quelques semaines après… mais toujours rien. Silence.

 

Bravo, c’était une des expériences initiatiques de la recherche d’emploi. J’estime à plus de 80% la fréquence avec laquelle ce cas de figure se répète, jour après jour, depuis maintenant 18 mois de recherches et de candidatures pour décrocher un premier emploi. Le Silence est très pratique. Il trouve toute sortes d’excuses bien pondérées, prêtes à être servie avec le rejet de la patate (en l’occurrence vous). « Trop de demandes, on ne peut pas répondre à tout le monde, on n’a pas le temps », « Pourquoi faire ? Le candidat, il sait bien qu’il ne sera pas pris quand il n’a pas de réponse…» et j’en passe. Je ne répondrais qu’une chose à ce genre d’arguments : Nous ne sommes pas rémunérés pour le travail colossal de recherches et de candidatures que l’on abat chaque jour. On dépense beaucoup d’énergie en tout genre. Cela va de l’effort intellectuel de se mettre à votre niveau à vous ‘recruteurs’, aux calories physiologiques, aux charges négatives associées à cette indifférence, en passant par l’énergie électrique, forfait internet/téléphone dépensé, etc… en pure perte. Être payé par un silence, whoahouh ! Je vous félicite, vous les professionnels ! A l’ère des emails automatiques, quand on y songe ! Tsss !

 

2e raison pour laquelle vous ne serez pas embauché : Vous êtes une femme et on vous signifie qu’il faut du muscle, et surtout peu de réflexions pratiques pour le poste à pourvoir. Si si ! En général, on vous sort une phrase du genre « vous savez ça va être physique !» suivi de « mais en fait, on recherche un gars pour ce poste.»

 

3e raison : « vous êtes trop diplômée ça ne pourra pas fonctionner, nous on recherche surtout un BTS, un Bac+zéro qu’on va former à faire ce que vous avez étudié, ce pourquoi vous avez été payé à coup de lance pierre en stage professionnalisant, vous voyez ?» C’est clair !

 

4e raison : « On a trouvé mieux que vous ! Il est plus jeune ! Oui vous voyez, vous avez 28 ans, droit à rien, vous n’êtes même plus ‘jeune’, donc ça ne nous conviendra pas.» Et oui, les aides pour les jeunes/séniors... ça exclue, songez-y !

 

5e raison : « Votre adresse postale. Vous n’êtes pas du coin.» Carrément, après 2 déménagements, je vais cracher sur le 3ème !

 

6e raison : « Vous êtes super ! Très compétente. Il y a 5 jours, je vous ai dit que je vous embaucherais après vous avoir observée à l'essai, même que je vous félicitais pour vos capacités à apprendre très vite ce que je vous demandais de faire... mais mon patron a changé d’avis. Finalement, il préfère qu’on engage un chinois comme moi. C’est tellement plus simple à gérer, les chinois !» Oui, en somme, là le problème c'est la barrière des langues, nan ? Je le savais...

 

7e raison qui aurait pu être placée en 2e position : « Vous n’avez pas d’expérience ! On veut quelqu’un qui ait tenu ce poste au moins 5 ans, et 10 c’est mieux !» Pour un poste de caissière ? A d’autres ! Et sinon, pour des emplois plus sérieux, mes stages professionnalisant ? Mes connaissances ? C'est pour des prunes que je les ai accumulés ?

 

Maintenant, vous saisirez peut-être mieux la métaphore de la patate chaude, associée à ma recherche d’emploi. 18 mois de galère, sans aide financière de mon pays, pour une recherche d’embauche généralisée sur la France entière, tous niveaux d’études confondus (Bac zéro à cinq).

 

J’ai 28 ans, je suis diplômée Bac+5 en sciences de l’ingénieur, ergonomie de matériel, avec aussi une belle licence en mécanique industrielle. Je suis une femme, de nationalité française, à qui on continue répétitivement de dire non à toutes ses tentatives pour être embauchée malgré ces vains efforts techniques et psychologiques.

 

Aujourd’hui, je me dis que j’en ai marre de me taire. De maintenir tabou ce gros fiasco que je décide de vivre avec humour. Alors quitte à faire des expériences peu gratifiantes qui repoussent chaque jour les limites de mon intelligence ainsi que ma compréhension du fonctionnement du monde dans lequel je vis... pourquoi ne pas partager toutes ces anecdotes vécues au fil des mois avec qui cela intéresse ? Par exemple, évoquer les fois où ma candidature a été rejetée pour des raisons raciales, de genre, d’intellect, ou de vieillesse prématurée ? Et oui ! J’avoue ! La récente excuse qu'on m'a servie de ne pas être chinoise, j’en ai pleuré de rire, il fallait que je vous la raconte ! Des regrets ? Non. Mais un bon conseil : le jour où on vous reprochera de ne pas être chinois pour un poste manuel sans haute responsabilité, fuyez !

 

En attendant, comptez avec moi : 18 mois, sans emploi ! Ça rime, c’est simple… Au 19e mois, je reviendrais sur les pépites des pires entretiens réalisés dans ma carrière de demandeuse d’emploi, et sur les limites d’un système dont ma situation personnelle n’est même pas représentée officiellement dans les grandes administrations (Sécurité Sociale, Aide à l’embauche, etc.)

 

Bien à vous,

 

Sarah


16/05/2015
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